A mon arrivée à la gare Lille Flandres le 17 février 2012, j’étais attendu
par Mme. Christine Oakil, l’enseignant partenaire pour ma deuxième
participation au projet « A l’école des écrivains ».
A peine
installés dans sa petite voiture, elle m’a confié que ses élèves étaient très
impressionnés par mon parcours international : j’ai quitté mon Cuba
natal, à 34 ans, pour le Brésil puis le Danemark et la France, où je suis resté
cinq ans avant de repartir en Argentine. Depuis mon retour, quatre ans et demi
plus tard, j’ai fait des séjours plus ou moins longs en Allemagne, Espagne,
Grèce, Autriche, Brésil...
Tout cela doit paraître extraordinaire aux enfants d’un quartier populaire
du nord de la France, dont l’une de premières conséquences d’un budget familial
restreint est l’immobilité.
Mme. Ouakil m’expliqua que l’année précédente, le collège avait organisé
une excursion à la côte, distante de moins de 80 kilomètres, et pourtant pour
une majorité des élèves c’était la première fois qu’ils voyaient la mer. Et
même, a-t-elle ajouté : « La plupart de mes élèves ne viennent
que rarement au centre ville !»
Ceci en parlant de Lille, tout en étant appelée « la métropole du
nord », n’est pourtant pas une très grande ville.
Ma première rencontre avec les élèves de la classe 6e 3 du
collège Paul Verlaine avait été conçue sous la forme d’une « conférence de
presse ». Ils venaient de lire mon roman La légende de Taïta Osongo et m’ont soumis les (prévisibles)
questions sur l’ouvrage, sur mon métier d’écrivain et, sans surprise après ce
que venait de me dire l’enseignante, sur mes nombreux voyages ainsi que sur mon
pays d’origine, les raisons pour lesquelles je l’avais quitté et les
circonstances de mon installation en France.
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La légende de Taïta Osongo. Ibis Rouge, 2004, mon roman sur l'esclavage |
J’ai tout de suite décidé que le projet d’écriture que nous devions
entreprendre serait une sorte de voyage pour nos auteurs en herbe.
Mme. Ouakil m’avait prévenu qu’il s’agissait d’une classe peu motivée et
avec des résultats scolaires plutôt médiocres. J’ai donc insisté sur le long
processus d’écriture de mon roman. Je leur ai montré un manuscrit couvert de
ratures daté 1992 à Copenhague. Cette mouture de mon roman était encore bien
loin de la version définitive (Paris, 1999) et pourtant il avait déjà pas mal
évolué depuis l’original (Santiago de Cuba, 1984). Ils ont eu du mal à
comprendre que, en dépit du fait d’avoir reçu un prix donnant droit à
publication, je poursuive le travail sur cet ouvrage pendant quinze longues
années.
les trois autres versions de "La légende...": Fondo de Cultura Ecoómica (espagnol, Mexique 2006), Capiro (espagnol, Cuba 2010), Ediçoes SM (portugais, Brésil 2007) |
J’ai tout de suite perçu que ces enfants auraient du mal à libérer leur
imagination. Ayant remarqué l’impact de mon histoire sur ces jeunes gens aux origines
majoritairement extra hexagonaux et l’intérêt qu’ils portaient au destin de
Taïta Osongo (un roi et sorcier africain qui devient esclave dans une colonie
de la Caraïbe), j’ai proposé d’inventer une enfance à mon personnage. Le conte
étant dans le programme de français, j’ai choisi, avec l’accord de Mme. Ouakil,
d’inscrire dans ce genre les textes que les élèves allaient écrire.
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Lors d'une rencontre avec des lecteurs de "La légende de Taïta Osongo" a Maripasoula, Guyane. Une partie d'entre eux étaient des descendants de esclaves marrons |
La classe a été divisée en six petites équipes. Chacune a créé une
histoire indépendante. Il en résulta un mélange parfois cocasse entre le cadre
historique de mon roman et le monde dans lequel vivent ces jeunes Lillois.
Parfois il fallut leur faire comprendre que les situations qu’ils avaient
imaginées étaient impossibles pour un jeune africain du XVII ou XIX siècle.
Tant dans la forme que dans le contenu, leurs récits laissaient souvent
apparaître les traces d’une consommation culturelle dominée par des séries télé
et autres films de mauvaise qualité.
Comme il était facile de prévoir, quelques élèves ont été incapables de
produire quelque chose de cohérent, pour ne pas parler d’un texte abouti. De
toute façon, est-ce le but d’un atelier d’écriture ne dépassant pas deux
rencontres et demie, d’environ deux heures chacune, que de produire de vrais
textes ? Il me semble que le programme « A l’école des
écrivains » cherche surtout à éveiller l’intérêt pour le livre et la
lecture auprès des enfants qui en majorité en sont dépourvus.
Avec d'autres lectrices de mon roman sur l'esclavage |
A la fin de la troisième rencontre, la moitié des textes n’étaient pas
totalement finis. Mme. Ouakil a promis de mes les envoyer pour une dernière
mise à point et échange par e-mail, mais je ne rien reçu. Ceci arrive souvent :
les enseignants participant aux projets d’animation semblent toujours dépassés
par leur emploi du temps et le passage des écrivains dans leurs établissements
est souvent perçu comme un « accident » rafraîchissant et certainement
motivant, mais pas comme un moment marquant dans l’année scolaire.
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