AIMEZ-VOUS
LE thé-rrible ?
Les sorcières
de catégorie sont anglaises. Elles peuvent aussi être irlandaises, galloises,
roumaines ou même espagnoles… Mais toutes celles qui se vantent d’être
véritablement mal élevées, comme il se doit dans le monde des sorcières, ont eu
une institutrice anglaise très laide, très méchante et très grossière. Voilà
pourquoi les sorcières de haut rang prennent le thé à dix-sept heures, comme
l’exige la tradition.
Bien entendu,
les sorcières ne boivent pas n’importe quel thé. Elles n’admettent que du
thé-rrible : un breuvage ignoble, écoeurant et pestilentiel. Le meilleur
thé-rrible est anglais, cela va de soi. Il contient, entre autres ingrédients
tenus rigoureusement secrets, quelques gouttes de bave de fox-terrier enragé
relevées d’une pincée de boue du Loch Ness (le lac écossais qu’abrite le fameux
monstre). Egalement, dans la préparation d’un véritable thé-rrible, il faut
utiliser de l’eau dans laquelle on aura pris soin de faire macérer le sabot
d’une vieille chèvre noire.
illustration d'Ajubel pour l'édition espagnole de 2001 |
Un jour, la
sorcière de la Vieille Havane reçut un thé-rrible provenant d’une récolte
précieuse et fort onéreuse. Sa meilleure ennemie, la sorcière Gwendoline
Halloween de Brooklyn, l’avait elle-même obtenu d’un multimilliardaire qu’elle
avait aidé à ruiner un autre hypermilliardaire. En guise de remerciement, le
multimilliardaire devenu entre-temps mégamilliardaire lui avait offert un kilo
du thé-rrible le plus rare et réputé : celui que les spécialistes surnomment
à juste titre « colique de Galles ».
MTB songea que
c’était là l’occasion rêvée pour inviter sa très bonne ennemie Tante Fripouille , à prendre le thé.
Tante
Fripouille Mieuquepersonne était une sorcière insupportablement prétentieuse.
Elle vivait dans les ruines du plus beau théâtre de La Havane, lequel avait
brûlé vingt ans plus tôt sans qu’on ait jamais pu le reconstruire. Or, ce que
personne ne savait, c’est que si les projets de reconstruction échouaient les
uns après les autres, c’était parce que Tante Fripouille assistait aux réunions
de chantier déguisée en personnage haut placé. Ses interventions provoquaient
des telles discussions que l’on n’arrivait à la moindre décision. Et, de
réunion en réunion les années passaient… passaient…
Chaque fois
qu’elle rendait visite à MTB, Tante Fripouille se montrait si hautaine et snob
que nos deux commères finissaient toujours par se crêper le chignon. Seulement,
vois-tu, comme les sorcières ne s’entendent avec personne, pas même entre
elles, Mocheline et Magouille ne rataient pas une occasion de se retrouver pour
mieux se disputer.
« Cette
fois, c’est moi qui aurai le dernier mot ! » se promit la sorcière de la
Vieille Havane tandis qu’elle sortait d’un armoire le service à thé hérité de
son arrière-grand-mère, la sorcière Séculaire.
La lampe
d’Aladin faisait office de théière. Les tasses n’étaient autres que les cornes
d’un bouc qui, selon la légende familiale, avait appartenu au diable en
personne. Avec un tel service il était inutile de tremper un sabot dans l’eau
réservé au thé-rrible. Plus spectaculaire encore : les tasses ne
reposaient pas sur des assiettes ordinaires mais sur des petites soucoupes
volantes qui allaient et venaient toutes seules des mains des invités à la
théière.
illustration d'Amilkar Chacón pour l'édition cubaine de 1999 |
« Ah !
s’exclama-t-elle en frissonnant. Il est répugnant à souhait !
- N’est-ce
pas ? fit MTB enchantée. Je savais que tu allais le trouver nauséabond. Tu
prendras bien une deuxième tasse ? Tu verras, il est ab-so-lu-ment é-cœu-rant!
- Avec grand
déplaisir » répondit Tante Fripouille, très poliment.
Après la
troisième tasse de thé-rrible, les deux sorcières commencèrent à se sentir
vraiment bizarres.
« Nous
pourrions peut-être vomir un peu, non ? demanda MTB.
- Je n’osais
pas te le proposer, répondit Tante Fripouille , toujours exquise.
-
Allons-y ! »
Les deux
sorcières sortirent précipitamment sur le balcon et vomirent par-dessus la
balustrade.
Les passants,
épouvantés, tentèrent tant bien que mal d’échapper à cette averse répugnante et
malodorante. Lorsqu'ils levaient la tête pour apercevoir le coupable, les
pauvres ne voyaient personne. Car les sorcières s’étaient rendues invisibles
pour mieux profiter du spectacle.
Vomir sur les passants et se
rendre invisible est le véritable but d’une invitation à prendre le thé-rrible.
Toute sorcière qui tient à sa réputation doit s’assurer que ses meilleures
ennemies auront à leur disposition une rue pleine de gens à embêter. Voilà
pourquoi les sorcières prennent toujours le thé à cinq heures : à cette
heure-là, les enfants sortent des écoles et les adultes quittent leur travail
et se pressent sur les trottoirs pour rentrer chez eux.
Se
rendre invisible n’est pas vraiment compliqué pour une sorcière. Tout d’abord
elle se met sur la pointe des pieds et lève les bras et la tête, prenant des
aires de danseuse. Ensuite, elle gonfle les joues et retient sa respiration
aussi longtemps possible. Après être passée par toutes les couleurs de
l’arc-en-ciel et avoir failli de s’évanouir, la sorcière devient enfin
transparente.
Une
fois qu’elles se furent suffisamment moquées des passants épouvantés, Magouille
et Mocheline retournèrent au salon en sautillant à cloche-pied pour retrouver
leur apparence normale. A cause de ses rhumatismes, MTB ne pouvait pas
sauter très haut et ne récupéra qu’en partie ses couleurs. Elle resta
translucide le reste de la soirée. Tante Fripouille se garda bien de le lui
faire remarquer. C’était une trop belle occasion pour s’épargner la vue de
l’horrible figure de Mocheline... qui méritait bien son nom.
« Encore un peu de thé ? » demanda Mocheline Triche-Beurk (...)
Tiré de La tremenda bruja de La Habana Vieja
Edebé. Barcelona, 2001
Version abrégée: Ediciones Capiro, Santa Clara (Cuba), 1999
« Encore un peu de thé ? » demanda Mocheline Triche-Beurk (...)
Tiré de La tremenda bruja de La Habana Vieja
Edebé. Barcelona, 2001
Version abrégée: Ediciones Capiro, Santa Clara (Cuba), 1999
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire