Chapitre 3
AIMEZ-VOUS LE thé-rrible ?
Les sorcières de catégorie sont anglaises. Elles peuvent aussi être
irlandaises, galloises, roumaines ou même espagnoles… Mais toutes celles qui
se vantent d’être véritablement mal élevées, comme il se doit dans le monde
des sorcières, ont eu une institutrice anglaise très laide, très méchante et
très grossière. Voilà pourquoi les sorcières de haut rang prennent le thé à
dix-sept heures, comme l’exige la tradition.
Bien entendu, les sorcières ne boivent pas n’importe quel thé. Elles
n’admettent que du thé-rrible : un breuvage ignoble, écoeurant et
pestilentiel. Le meilleur thé-rrible est anglais, cela va de soi. Il
contient, entre autres ingrédients tenus rigoureusement secrets, quelques
gouttes de bave de fox-terrier enragé relevées d’une pincée de boue du Loch
Ness (le lac écossais qu’abrite le fameux monstre). Egalement, dans la
préparation d’un véritable thé-rrible, il faut utiliser de l’eau dans
laquelle on aura pris soin de faire macérer le sabot d’une vieille chèvre
noire.
Un jour, la sorcière de la Vieille Havane reçut un thé-rrible provenant d’une récolte précieuse et fort onéreuse. Sa meilleure ennemie, la sorcière Gwendoline Halloween de Brooklyn, l’avait elle-même obtenu d’un multimilliardaire qu’elle avait aidé à ruiner un autre hypermilliardaire. En guise de remerciement, le multimilliardaire devenu entre-temps megamilliardaire lui avait offert un kilo du thé-rrible le plus rare et réputé : celui que les spécialistes surnomment à juste titre « colique de Galles ».
MTB songea que c’était là l’occasion rêvée pour inviter sa très
bonne ennemie Tante Fripouille , à
prendre le thé.
Tante Fripouille Mieuquepersonne était une sorcière insupportablement
prétentieuse. Elle vivait dans les ruines du plus beau théâtre de La Havane,
lequel avait brûlé vingt ans plus tôt sans qu’on ait jamais pu le
reconstruire. Or, ce que personne ne savait, c’est que si les projets de
reconstruction échouaient les uns après les autres, c’était parce que Tante
Fripouille assistait aux réunions de chantier déguisée en personnage haut
placé. Ses interventions provoquaient des telles discussions que l’on
n’arrivait à la moindre décision. Et, de réunion en réunion les années
passaient… passaient…
Chaque fois qu’elle rendait visite à MTB, Tante Fripouille se montrait si
hautaine et snob que nos deux commères finissaient toujours par se crêper le
chignon. Seulement, vois-tu, comme les sorcières ne s’entendent avec personne,
pas même entre elles, Mocheline et Magouille ne rataient pas une occasion de
se retrouver pour mieux se disputer.
« Cette fois, c’est moi qui aurai le dernier mot ! » se promit
la sorcière de la Vieille Havane tandis qu’elle sortait d’un armoire le service
à thé hérité de son arrière-grand-mère, la sorcière Séculaire.
La lampe d’Aladin faisait office de théière. Les tasses n’étaient autres
que les cornes d’un bouc qui, selon la légende familiale, avait appartenu au
diable en personne. Avec un tel service il était inutile de tremper un sabot
dans l’eau réservé au thé-rrible. Plus spectaculaire encore : les tasses
ne reposaient pas sur des assiettes ordinaires mais sur des petites soucoupes
volantes qui allaient et venaient toutes seules des mains des invités à la
théière.
Quand MTB servit le fameux « colique de Galles », une petite
fumée en forme de main décharnée s’échappa des tasses et vint pincer le nez
boursouflé de Tante Fripouille . Cette dernière ouvrit des yeux ronds comme
les soucoupes, secoua la tête et s'essuya le front avant de se risquer à
boire une gorgée.
« Ah ! s’exclama-t-elle en frissonnant. Il est répugnant à
souhait !
- N’est-ce pas ? fit MTB enchantée. Je savais que tu allais le
trouver nauséabond. Tu prendras bien une deuxième tasse ? Tu verras, il
est ab-so-lu-ment é-cœu-rant!
- Avec grand déplaisir » répondit Tante Fripouille, très poliment.
Après la troisième tasse de thé-rrible, les deux sorcières commencèrent à
se sentir vraiment bizarres.
« Nous pourrions peut-être vomir un peu, non ? demanda MTB.
- Je n’osais pas te le proposer, répondit Tante Fripouille , toujours
exquise.
- Allons-y ! »
Les deux sorcières sortirent précipitamment sur le balcon et vomirent
par-dessus la balustrade.
Les passants, épouvantés, tentèrent tant bien que mal d’échapper à cette
averse répugnante et malodorante. Lorsqu’ils levaient la tête pour apercevoir
le coupable, les pauvres ne voyaient personne. Car les sorcières s’étaient
rendues invisibles pour mieux profiter du spectacle.
Vomir
sur les passants et se rendre invisible est le véritable but d’une invitation
à prendre le thé-rrible. Toute sorcière qui tient à sa réputation doit
s’assurer que ses meilleures ennemies auront à leur disposition une rue
pleine de gens à embêter. Voilà pourquoi les sorcières prennent toujours le
thé à cinq heures : à cette heure-là, les enfants sortent des écoles et
les adultes quittent leur travail et se pressent sur les trottoirs pour
rentrer chez eux.
|
première édition espagnole (Edebé. Barcelone, 2001) |
chapitre 4
EFFET COLLATÉRALE
Se
rendre invisible n’est pas vraiment compliqué pour une sorcière. Tout d’abord
elle se met sur la pointe des pieds et lève les bras et la tête, prenant des
aires de danseuse. Ensuite, elle gonfle les joues et retient sa respiration aussi
longtemps possible. Après être passée par toutes les couleurs de
l’arc-en-ciel et avoir failli de s’évanouir, la sorcière devient enfin
transparente.
Une
fois qu’elles se furent suffisamment moquées des passants épouvantés,
Magouille et Mocheline retournèrent au salon en sautillant à cloche-pied pour
retrouver leur apparence normale. A cause de ses rhumatismes, MTB ne
pouvait pas sauter très haut et ne récupéra qu’en partie ses couleurs. Elle
resta translucide le reste de la soirée. Tante Fripouille se garda bien de le
lui faire remarquer. C’était une trop belle occasion pour s’épargner la vue
de l’horrible figure de Mocheline... qui méritait bien son nom.
« Encore un peu de thé ? » demanda MTB.
« Juste un petit doigt » consentit Tante Fripouille.
Les
deux sorcières auraient adoré se saouler au thé-rrible pour pouvoir à nouveau
vomir sur les passants. Mais elles savaient qu’elles risquaient un malaise en
dépassant la dose. Tu sais, les sorcières vivent dans le mal et donc,
lorsqu’elles tombent malades, elles ont un envie fou de faire le bien. Et ça
est la pire de choses pour une créature de leur espèce.
« Je frisonne encore quand je me souviens de ce qui m’est arrivé
lors que j’ai goûté pour la première fois du thé-rrible chez ma marraine,
l’ogresse Drôlesse ! raconta MTB.
- Ça
par exemple ! Tu ne m’en as jamais parlé ! » s’exclama Tante
Fripouille .
MTB
se rendit compte, trop tard, qu’elle venait de commettre une indiscrétion.
« Voilà le genre de chose
qu’arrive quand on force un peu sur le thé-rrible ! » pensa-t-elle,
et tenta de faire diversion : Bien sûr que je t’ai déjà parlé de ma
marraine… »
Peine
perdu, elle n’eut d’autre choix que de raconter sa mésaventure : en
effet, après avoir ingurgité sa cinquième tasse de thé-rrible et vomi trois
fois, ses verrues, ses rides et ses ongles crochus avaient disparu, son poil
au menton et son cheveu sur la langue étaient tombés d’un seul coup, sa bosse
s’était redressée, les bourrelets autour de son ventre avaient fondu et ses
pieds s’étaient même remis à marcher droit. Comme si cela ne suffisait pas,
sa peau avait pris une teinte délicatement rosée et ses frisottis de glace
avaient fait place à une chevelure ROUSSE et soyeuse.
« Et quelle voix, mon diable ! s’exclama MTB dont la peau se
couvrit à l’instant d’innombrables piquants (lorsque les sorcières ont la
chair de poule, il leur pousse en réalité des piquants de hérisson). J’avais
une voix atrocement douce et mélodieuse…
- S’il m’arrivait une chose pareille, je crois que j’en mourrais, dit
Tante Fripouille , très impressionnée.
- Mais ce n’est pas tout, poursuivit MTB. Le pire, c’est que je ne
pouvais plus prononcer la moindre grossièreté ni souhaiter le pire à
quiconque… Imagine un peu ! Comment pouvais-je décemment quitter ma
marraine sans lui souhaiter un affreux malheur, sans prier qu’en préparant le
repas elle se blesse avec un couteau rouillé ou que ses treize chats noirs la
griffent jusqu’au sang…
- Qu’as-tu fait ?
- Rien. J’ai attendu que cela me passe. Tu penses bien que dès que j’ai
compris ce qui m’arrivait, j’ai couru m’enfermer dans les cabinets. Par
chance, ma marraine ne possédait pas de miroir (pas même un miroir magique),
parce que si je m’étais vue si belle, je t’assure que j’en aurais eu une
crise cardiaque.
- Mais alors ! s’exclama Magouille, dépitée. Tout s’est bien
terminé ?
- Pas du tout ! répondit MTB qui savait qu’on ne doit pas raconter de
choses agréables à ses invités. Les fils de ma marraine, de jeunes ogres
fouineurs et moqueurs, avaient pour habitude de regarder par le trou de la
serrure dès que quelqu’un entrait dans les cabinets.
- Et ?
- Figure-toi que, lorsqu’ils ont vue cette espèce de princesse bien sage,
attendant gentiment que son bien-être passe… »
Tante Fripouille écarquillait les yeux.
« Ils
sont PARTIS en criant qu’un ange s’était caché dans les toilettes. Sur le
coup, personne ne les a crus, tu penses ! On leur a expliqué que les
anges n’existaient que dans l’esprit des gens superstitieux, qu’il s’agissait
de créatures spécialement inventées pour effrayer les petits enfants, bref
des histoires à faire dormir les ogres debout. Mais ces imbéciles insistèrent
tant et tant que leur père, l’ogre de Barbarie, voulut s’en assurer lui-même
et…
- Aïe ! couina Tante Fripouille , en tordant son mouchoir de velours
noir.
-
Ils sont arrivés avec leurs balais et leurs gourdins, ont commencé à me jeter
des sorts, des maléfices et toutes sortes de charmes. J’avais beau clamer ma
culpabilité et tenter de résister à leurs sortilèges, rien n’y fit. Et je fus
changée en botte d’aiguilles… »
Quelques
instants plus tard, Tante Fripouille
demanda la permission de se retirer. Elle souhaita une mauvaise nuit à
MTB, la complimentant une nouvelle fois pour son infect thé-rrible.
« Que
le diable t’emporte, malheureuse ! dit Tante Fripouille,
en mordant poliment MTB.
-
Va aux enfers, vieille crapule ! » lui répondit cette dernière en
lui flanquant courtoisement un coup de pied.
Une
fois seule, Mocheline Triche-Beurk éclata d’un rire malveillant.
« Mon thé-rrible a dû faire de l’effet à cette pauvre Tante
Fripouille . Elle ne m’a même pas fait un seul mauvais coup et a gobé sans
broncher un énorme mensonge ! Si elle avait été dans son état normal,
jamais elle ne m’aurait crue capable de succomber aux maléfices de ma propre
famille. Ah ! Et puis, crotte de bique ! Je n’allais pas, en plus,
lui raconter que tout s’était bien terminé. Cela ne se fait
pas devant les invités! »
Extrait de « Mocheline Triche-Beurk, la pire des sorcières » (nouvelle
version de Malicia Horribla Pouah, la
pire des sorcières)
Rosell, Joel
Franz
Malicia Horribla Pouah, la pire des sorcières
Hachette.- (Livre
de poche. Cadet). lsbn 2-0l-321829-X
lecture de [Non signé], comité X.
Cet article a
été consulté 31 fois (el 26 de mayo de 2003 sobre las 17 horas)
C'est l'histoire d'une horrible sorcière vraiment
méchante qui cache un terrible secret de famille : une soeur née belle
et bonne.
Notre méchante sorcière a très peur que cette parenté
honteuse l'empêche d'être nommée docteur en sciences malignes, arts tordus et
lettres occultes par le conseil supérieure de la magie noire. Alors, quand
elle apprend que l'une de ses petits nièces. elle aussi belle et bonne, doit
venir lui rendre visite, elle décide de tout faire pour s'en débarrasser.
Mais la tâche s'avère être plus délicate que prévue... Alors pourquoi ne pas
transformer cette charmante petite fille en horrible sorcière sans coeur...
Encore une histoire de sorcières me direz-vous. A
croire que depuis Harry Potter les auteurs de romans jeunesse manquent
singulièrement d'imagination. Voila cependant une sympathique petite histoire
qui vaut le détour. La galerie de personnages (surtout les sorcières) est
pleine d'humour et d'originalité, et l'histoire fait preuve de bons
sentiments.
Cependant il est à regretter un langage parfois un peu
cru pour des lecteurs de 7-8 ans.
|