mercredi 2 juin 2010

CUBA DANS SA POESIE POUR LA JEUNESSE

La poésie cubaine pour la jeunesse est un excellent instrument pour la connaissance de Cuba. Le rôle éducateur attribué à ce genre, particulièrement développé après la révolution castriste (1959), explique une forte présence des thèmes considérés importants pour la formation des jeunes tels que la nature, les modes de vie et l'histoire.

L'essentiel de l'expérience " littéraire " de l'enfance cubaine jusqu'au début du XIXème siècle se réduit aux chants de Noël et aux diverses manifestations, en prose et en vers, de la tradition orale. Dès le début du XIXème, la réforme de l'éducation permettre la publication des premiers livres contenant des fables, des poèmes et de courts récits pour la jeunesse… à l'intention très didactique et moralisatrice.

C'est le remarquable écrivain et homme politique cubain José Marti (1853-1895) qui donne ses lettres de noblesse à la littérature cubaine pour la jeunesse avec La Edad de Oro, revue publiée à New York entre juillet et octobre 1889.

Le grand essor de la poésie pour la jeunesse aura lieu dès années 1960 grâce à la collaboration de talents de la taille de Nicolás Guillén, Mirta Aguirre, Dora Alonso, Osvaldo Navarro, Excilia Saldaña, Aramís Quintero, Alberto Serret, José Antonio Gutiérrez et bien d'autres.

Les paysages, le folklore, les animaux et les plantes, certaines traditions et bien sûr l'histoire du pays sera très présente dans cette poésie qui ne cache pas toujours une claire intention éducative, mais aussi la maîtrise des mots et du rythme.

Trouvez l'intégralité de cette sélection de poésie bilingue et illustrations des livres pour la jeunesse que j'ai préparé en 1999 pour Uniterre.com :

http://www.uniterre.com/r_destinations/cuba/culture/index_jrosel.htm

mardi 1 juin 2010

une interview ancienne mais guère dépassée


Entretien avec Joel Franz Rosell

Mis en ligne par Ricochet en novembre 2001



Ricochet : Joel Franz Rosell, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Joel Franz Rosell : Je suis né à Cuba en 1954, dans une petite ville de l’arrière-pays nommé Cruces, ce qui veut dire "Croisements" ou "Carrefours". Même si ce nom fait, à l’origine, allusion aux nombreux chemins de fer qui se croisent dans ce fief de l’industrie sucrière, il évoque avec pertinence le métissage sur lequel s’asseoit l’identité de Cuba. Parmi mes ancêtres, on trouve des blancs espagnols, des noirs africains, des aborigènes et même des chinois! Cependant le métissage est si profond dans mon pays qu’il est difficile de percevoir, en tout cas en littérature, les différentes composantes isolées. Ainsi, dans mon écriture on ne trouve généralement pas de marques explicites des cultures d’origine.

J’étais un écrivain assez connu quand j’ai quitté Cuba en 1989 pour rejoindre mon épouse française. Je l’ai ensuite accompagnée partout où sa profession l’a conduite: au Brésil, au Danemark, en France, et finalement en Argentine. Cela a enrichi mes textes avec d’autres expériences géographiques, culturelles et personnelles, rendant mon écriture, me semble-t-il, plus universelle.

Ricochet : Vous avez travaillé pendant plusieurs années comme animateur littéraire pour le Ministère cubain de la culture, qu'est-ce que vous a apporté cette expérience ?
Joel Franz Rosell : L’événement majeur de l’histoire récente de Cuba c’est la révolution castriste. Je n’avais pas plus de trois ans quand Fidel Castro s’empara du pouvoir et commença à redessiner la societé cubaine. J’ai été éduqué dans les principes "révolutionnaires" et je pense même que probablement je ne me serais pas consacré à la littérature pour la jeunesse sans un tel changement politique. Avant 1958, il n’y avait pas une seule maison d’édition digne de ce nom à Cuba et très peu de livres avaient été publiés pour les enfants.

Dès le début des années 1970, l’un des objectifs clés de la politique culturelle révolutionnaire a été de développer la pratique, par le peuple, de l’art et de la littérature. Les ateliers d’écriture se sont énormement développés dans les années 70 et 80, et avant d’en devenir animateur, j’en fis partie comme "apprenti" écrivain. L’expérience a été riche. J’y ai appris qu’un texte n’est jamais fini, qu’il faut toujours le tester avec les autres, que la critique est toujours un enseignement...

Pour orienter ce mouvement de masse on engageait des diplômés de lettres. J’ai travaillé comme animateur littéraire, successivement, à Santa Clara, à Santiago de Cuba (deux des plus grandes villes de Cuba) et à La Havane. J’ai été animateur de terrain et aussi responsable départemental pour les animations littéraires. Cela m’a permis de parcourir le pays et de rencontrer des gens de talent divers mais toujours passionnés de littérature: des écrivains professionnels, des jeunes talents qui par la suite ont connu la renommée et d’autres personnes qui sont restés amateurs. J’ai aussi travaillé avec des enfants qui écrivaient et qui lisaient très bien. Ils ont eu beaucoup d’influence dans l’aboutissement de celui qui devint mon premier livre publié.

Ricochet : Vous avez également enseigné la littérature latino-américaine à l'Université de Marne-la-Vallée, pensiez-vous à cette époque être publié en France ? Comment s'est fait ce cheminement ?
Joel Franz Rosell : Un écrivain veut toujours partager son travail avec les gens qui l’entourent (c’est vrai qu’on écrit d’abord pour soi-même, mais on publie toujours pour les autres). S’il y a une chose qui me plaît c’est de traîner dans les librairies... et trouver au hasard mes livres parmi les autres! On raconte certaines anecdotes à propos d’écrivains qui surveillent les premier pas de leurs livres dans les librairies. Et bien, je suis sûr qu’il n’y a pas d’écrivain qui n’ait pas fait cela!

Pendant mon séjour au Brésil, j’ ai publié mon troisième livre -traduit en portugais-, mais je ne suis pas parvenu à me faire traduire au Danemark. Les éditeurs contactés m’ont répondu que mon monde était trop différent de celui des enfants danois ou que ma façon de mélanger réalité et imaginaire n’était pas du goût des jeunes Danois. En conséquence, mon désir de voir mes livres traduits n’était que plus fort quand je suis arrivé en France en septembre 1995. J’ai commencé tout de suite à envoyer mes manuscrits à différents éditeurs, mais ce n’est qu’en novembre 1998 que Hachette a sorti mon premier titre en français.

A la même époque je finisais ma collaboration de trois ans avec l’Université de Marne-la-Vallée. Il n’y a donc eu aucun rapport entre mon activité d’écrivain pour la jeunesse et mon activité de professeur... et cela à mon regret.

Le statut de la littérature de jeunesse dans le monde universitaire, en France comme en Amérique Latine et en Espagne, est loin d’être satisfaisant. Sauf dans quelques cas exceptionnels, la littérature pour la jeunesse n’est pas enseignée dans les facultés de lettres, mais dans les instituts pédagogiques... et encore!

On accepte volontiers l’idée d’offrir aux instituteurs une formation élémentaire en littérature pour la jeunesse, mais il est moins évident d’introduire des textes pour la jeunesse quand il s’agit d’un programme censé présenter le meilleur de la littérature d’un pays, d’une région ou d’une époque. Je m’en suis toujours voulu de ne pas avoir su introduire, entre les grands auteurs que j’ai présentés à mes étudiants (Octavio Paz, Nicolás Guillén, Mario Vargas Llosa, Cabrera Infante...) quelques-uns des grands auteurs latino-américains pour la jeunesse: José Marti, Horacio Quiroga, Gabriela Mistral et tant d’autres.

Si je reprends un jour l’enseignement je ne manquerai pas de payer cette dette. Surtout parce que mon expérience universitaire, elle, a laissé des traces dans mon travail d’écrivain. Mes articles sur le livre pour la jeunesse (une petite partie a été réunie dans un volume publié récemment en Argentine) ont beaucoup gagné grâce à mon passage à l’Université, mais ce qui est plus important, la lecture "savante" d’auteurs comme Octavio Paz et Cabrera Infante a enrichi ma façon de traiter la langue dans mes écrits pour la jeunesse.

Ricochet : Comment en êtes-vous arrivé à l'écriture pour les jeunes ? Est-ce que cela à toujours été votre souhait ?
Joel Franz Rosell : Je ne peux pas comprendre qu’on écrive pour la jeunesse parce qu’ il le faut, parce que les jeunes en ont besoin, ou parce que "un jour, ma petite fille était malade et pour l’amuser...". Je sais que ce sont des raisons ou circonstances qui ont amené au livre pour la jeunesse beaucoup d’écrivains... y compris des écrivains à succès et des auteurs de prestige. Mais je n’imagine pas Proust avouant qu’il écrivit A la recherche du temps perdu parce qu’un jour sa pauvre mère malade s’ennuyait, ou Cervantes nous confiant qu’il a écrit son Quichotte parce qu’un éditeur sagace lui en a fait commande! Pour moi, on est amené à écrire de la littérature de jeunesse comme on est amené à écrire de la poésie ou du théâtre: parce c’est avec les moyens propres à ce "genre" qu’on est capable de raconter ce qu’on ne peut pas s’empêcher de partager avec les autres. Pour moi c’est quelque chose qu’on ne choisit pas, comme on ne choisit pas de respirer.

J’ai commencé à écrire à douze ans. J’écrivais pour moi-même d’abord, puis pour ma petite soeur et ses amis. J’ai commencé en écrivant pour la jeunesse de façon très naturelle et mon style s’est façoné à l’intérieur de ce "genre". Jusqu’à présent, hormis dans le domaine de la critique et l’essai, je n’ai pas ressenti le besoin d’écrire pour les adultes... En fait, on peut parler de tout aux enfants. Et les possibilités stylistiques qu’offre la littérature pour la jeunesse sont, pour moi, beaucoup plus intéressantes. Au début je n’écrivais que des romans policiers ou d’aventure, de style réaliste, dans une prose directe. Mais progressivement je me suis intéressé à l’imaginaire, à l’univers du conte. J’ ai enrichi mon écriture avec des ressources poétiques et des jeux de mots, avec la parodie, les meta-langages, l’intertextualité et autres techniques contemporaines.


Ricochet : Comment naissent vos histoires ?
Joel Franz Rosell : Tout écrivain répondra que chaque histoire naît d’une façon différente. Dans mon enfance, le titre ou le lieu de l’action me suffisaient pour développer une histoire. Mon premier roman publié naquit d’un fait banal, qu’on pourrait même qualifier de préjugé esthétique: le dégoût qui me causait le port, par certains individus, de dents d’animaux utilisées comme pendentifs. J’ai imaginé un groupe de voyous qui utilisaient ces dents comme signe d’appartenance à une bande et j’ai fini par concevoir un complot international avec des agents de la C.I.A., etc. Ce roman s’appela Le secret du croc suspendu (El secreto del colmillo colgante) et il eut un énorme succès à Cuba: 50 000 exemplaires épuisés en une année.

Pour sa part, Les aventuriers du cerf-volant, mon premier livre traduit en France, n’était à l’origine qu’un conte paru dans un autre livre. La phrase finale promettait à mes personnages d’autres aventures, mais ce n’était qu’un jeu de mots, une jolie formule pour la chute de l’histoire. Pourtant je suis tombé dans mon piège et quelques mois plus tard mes personnages restaient si vivants dans mon imagination que j’ai dû écrire la suite de leurs aventures: un roman qui fut finalement publié à Cuba, en Espagne et en France, et qui fut désigné par la Bibliothèque Internationale de la Jeunesse, de Munich, comme un des meilleurs livres publiés dans le monde en 1996.

Je répète, une histoire n’emprunte jamais le chemin suivi par une autre. Souvent, des expériences réelles viennent se greffer sur des personnages et des situations complètement imaginaires, ou inversement. C’est le cas de Malicia Horribla Pouah, la pire des sorcières (mon dernier livre publié, en France, toujours au Livre de Poche Jeunesse de Hachette, puis en Espagne). Dans ce roman je mélange des images de La Havane d’aujourd’hui et des motivations propres au critique littéraire que je suis également. Je m’étais lassé de lire toutes ces histoires de sorcières gentillettes qui inondent le marché et j’ai décidé d’écrire l’histoire d’une sorcière vraiment méchante, tricheuse et dégoûtante, même si à la fin (m’aura-t-elle ensorcelé?) elle ose rêver à une autre vie.

Ricochet : Vous avez publié en 2000, Cuba, destination trésor, une enquête, presque policière, dans votre pays natal. C'est en somme une enquête journalistique dans la Cuba d'aujourd'hui ?
Joel Franz Rosell : Même si j’ai excercé le journalisme pendant des années (à Cuba, puis à Radio France Internationale, notamment), en littérature j’ai du mal à me borner à la représentation fidèle de la réalité. Mon roman s’ alimente, certes, de l’ image que m’ont laissée mes quatre retours à la Cuba contradictoire des années 90, mais il se nourrit également de quelques souvenirs de jeunesse et des ressources d’un certain type de roman d’aventure.

Cuba, destination trésor a été très long à aboutir et il a eu une destinée un peu singulière: ne paraître en espagnol que deux ans après sa publication en français. La première version du manuscrit je l’ai terminé en 1991, au Brésil. Deux ans plus tôt, j’avais quitté Cuba et, pour des raisons jamais éclaircies, je n’arrivais pas à obtenir la permission pour revenir à mon pays (il m’en fallait une à cette époque). Cuba me manquait cruellement et je supose que j’ai eu besoin de faire le voyage en rêve.

Cette première version n’eut aucun succès auprès des éditeurs brésiliens et espagnols auquels je l’ai adressée. Quelques années plus tard l’île était devenue très à la mode et l’image stéréotypée que je découvrais dans des nombreux récits me laissait assez peu satisfait. Alors, je repris mon idée de raconter aux enfants d’autres pays la découverte de Cuba, à travers les yeux d’une fillette espagnole qui aurait était chargée par un arrière grand-oncle de trouver le trésor qu’il avait laissé enfoui dans la maison qu’il habitait autrefois sur l’île. Plus que le trésor, ce que découvre mon héroïne est la réalité de Cuba, qu’on peut diviser schématiquement en deux: la merveilleuse île tropicale qui reçoit les touristes, et le pays sous-dévéloppé où les Cubains s’efforcent de sauver quelque chose de leur rêve égalitaire.

Avec ce roman je renoue aussi avec mes débuts, non seulement par le type de roman, mais parce que la bande de jeunes Cubains que l’héroïne espagnole rencontre sont les mêmes qui ont joué le beau role dans mon premier roman publié... dix-sept ans plus tôt!

Ricochet : Y-a-t-il des thèmes que vous ne pourriez pas aborder dans vos ouvrages ?
Joel Franz Rosell : Tout thème qui ne me passionne pas m’est defendu. On ne fait pas de fiction avec des thèmes mais avec des intrigues, avec des personnages, avec des mots soigneusement choisis. Le thème ne doit jamais faire surface et ne doit pas lester l’oeuvre non plus. Sa place est celle du squelette, celle du sang. Le thème doit être intégré à la subtile structure de l’oeuvre et pour cela il faut que l’écrivain soit si imprégné du thème qu’il n’ait même pas conscience de son existence.

Il y a des sujets qui m’intéressent beaucoup sans que j’ose les aborder tout simplement parce que je ne les connais pas assez. Je pense que tout ce qui a rapport à la vie quotidienne des enfants et des jeunes –qu’ils soient Cubains ou Français- doit être discuté entre les écrivains et leurs lecteurs avec franchise et profondeur. Pourtant, le stéréotype et l’opportunisme pullulent dans l’édition pour la jeunesse parce qu’il y a des éditeurs qui veulent disposer d’un catalogue thématique complet et des écrivains qui acceptent la commande en se contentant d’un dossier sommaire pour se documenter.

Les thèmes, en général, sont les mêmes pour les enfants d’aujourd’hui ou d’autrefois et beaucoup de nos problèmes resteront pour les hommes et les enfants du futur. Finalement, il n’y a pas non plus de différences fondamentales entre les enfants qui lisent en France, à Cuba, en Espagne, au Brésil ou ailleurs (mes livres ont été lus et publiés dans ces pays et dans bien d’autres où je n’ai jamais mis les pieds). Je préfère, donc, la perspective du conte, avec ses espaces imaginaires et son intemporalité. Là, je crois pouvoir aborder des thèmes qui intéressent, qui amusent, qui inquiètent mes jeunes lecteurs, avec profondeur mais avec la distance nécessaire pour que ce soit une expérience plus stylisée, plus générale, plus dans la durée.

Pour poursuivre ce dialogue, tapez
http://www.ricochet-jeunes.org/entretiens/entretien/27-joel-franz-rosell

Cuba, terre des débrouilles

  Une fois n'est pas coutume. Habituellement je parle de littérature jeunesse. C'est la spécialité que je cultive en tant qu'aut...