dimanche 18 août 2013

Le ministère d'éducation d'Argentine offre 17 000 exemplaires de "La légende de Taita Osongo"




 Le Ministère d’Education de l’Argentine vient d’offrir 16 892 exemplaires de mon roman La légende de Taïta Osongo aux écoles publiques de la nation. Il s’agit d’une édition spéciale de Fondo de Cultura Económica, la plus grande maison d’édition de l’Amérique Latine, qui depuis 2006 assure la diffusion de l’ouvrage en langue espagnole avec les illustrations de mon compatriote Ajubel (lauréat, entre d’autres nombreux prix, du prestigieux Bolonia Ragazzi Award). 

La légende de Taïta Osongo est un roman pour adolescents sur de l’esclavage, la traite et le racisme. Ce n’est pas un récit historique aux intentions pédagogiques plus ou moins dissimulées, mais un vrai roman où la magie, l’amour et l’aventure sont portés par une écriture poétique. Cela ne veut pas dire que j’ignore ou que je m’écarte de la réalité historique ni du traitement rigoureux qui mérite la question de l’esclavage. D’une façon plus ou moins consciente, mon but était de récréer le difficile processus de métissage dans lequel se forgea non seulement le peuple cubain, mais encore, très concrètement, ma propre famille. Par son fond, mais peut-être aussi par sa forme, il s’agit de mon roman le plus ambitieux.


En 2005, je rencontre mes lecteurs à Maripasoula,
centre administrative l'Amazonie guyanaise.
La plupart de ces jeunes descendent des marrons
qui ont fuit autrefois les plantations esclavagistes françaises
 dans la région.


La légende… raconte l’affrontement entre Taïta Osongo, roi-sorcier d’un pays imaginaire d’Afrique, et le rusé négrier Severo Blanco, qui réussit à réduire en esclavage le premier ainsi que de nombreux hommes et femmes de son peuple. Devenu un planteur tout-puissant, Severo Blanco verra son monde s’écrouler lorsque sa fille de 15 ans et le petit-fils de Taïta Osongo tombent amoureux et décident fuir dans la forêt avec l’aide de celui qui est devenu un vieux marron isolé... mais pas vaincu. Evidemment mon histoire ne finit dans un pas de happy-end, mais la défaite de l’esclavagiste n’est pas moins déffinitive.

Mon roman puisse dans la tradition, mais pas là où l’on l’attendrait: les cultures afro-américaines. Je m’inspire surtout dans la littérature cubaine (Nicolas Guillén, Onelio Jorge Cardoso) et universelle (recyclant la structure d’un vieux conte russe).

La première version de La légende de Taïta Osongo a été récompensée par un prix donnant droit à publication, mais je savais mon manuscrit imparfait. J’ai tardé 18 ans à en découvrir la cause: le personnage de Severo Blanco manquait de passé et donc de véritable existence. Puis, il me suffit d’ajouter quelques détails au début de l’histoire et j’ai pu la présenter à mon éditeur de l’époque, Hachette. Celui-ci ayant trop tardé à me répondre, j’ai cédé les droits pour la langue française à Ibis Rouge, séduit par l’idée de publier un roman sur l’esclavage dans un territoire de la Caraïbe victime autrefois de l’innommable crime.

 

Deux ans plus tard, La légende de Taïta Osongo était publié en espagnol : d’abord au Mexique (par Fondo de Cultura Económica, le plus grand éditeur de l’Amérique Latine) puis à Cuba et, entretemps, traduit au Brésil.  En 2009, le réputé Centre de recherche et promotion du livre pour la jeunesse Banco del Libro (Venezuela) l’a choisi comme l’un des meilleurs romans pour adolescents publiés dans la période.

L’adoption de l’ouvrage par le ministère d’éducation d’un pays qui n’a pas été profondément marqué par l’esclavage des noirs, est la confirmation de son autonomie narrative. Il n’y a pas de sujet plus universel que la révolte contre l’injustice, qu’elle soit d’origine économique, politique, religieux, ethnique ou autre.
Les 3000 exemplaires édités par Ibis Rouge ont tardé 9 ans à être épuisés. La faute aux insurmontables difficultés qui ont les éditions de l’Outremer dans marché du livre hexagonale. Aujourd’hui pratiquement épuisé, j’espère disposer d’assez d’arguments pour mettre mon roman, cette fois-ci, entre les mains du large public qu’il semble mériter.


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Notes critiques, témoignages et extraits de l'ouvrage dans la page  La légende de Taita Osongo incluse dans ce même blog:
 
Voir également :
 
 
 

mardi 13 août 2013

un conte pour l'été, tout frais et gratuit


 

Le père de Rose était marin. C’était le marin du Pays Royaume Village.
Le lundi, le mercredi et le vendredi soir, il partait à la pêche. C’est pourquoi le mardi, le jeudi et le samedi, sur le tout petit marché de la toute petite place du village, on pouvait entendre sa femme s’égosiller :
« Pour qui ces sardines fines ? Ces poulpes pourpres et pulpeux ? Tout frais, tout prêt. Oh ! le beau, le gros tourteau ! »
Les autres jours, ceux qui avaient envie de poisson devaient se contenter de petits poissons multicolores de leur aquarium. Ou alors, ils n’avaient qu’à ouvrir une boîte de poisson-chat en chocolat, un flacon de poissons-papillons ou tout bêtement croquer un poisson-cheminée fumé.
Le mardi et le jeudi, le père de Rose faisait du commerce. Il rapportait au Pays Royaume Village toutes sortes de choses que l’on ne trouvait pas sur le minuscule territoire : carpes de cirque, étoiles filantes, poissons d’avril, neige déshydratée emballée sous vide à Singapour et quantité d’autres marchandises tout aussi utiles que la mère de Rose vendait ensuite au marché.
Le samedi, le marin décorait son bateau avec des guirlandes et des lampions, et organisait des excursions. Sa femme encaissait les entrées : un demi-sou pour aller aux îles Sous-le-Vent, qui étaient en fait quatre récifs couverts d’algues, et un autre demi-sou pour se rendre aux îles Au-Vent, qui n’étaient en fait autre chose que quatre récifs entourés de bancs de corail. Pour éviter de couper leurs pièces en deux, les gens faisaient la visite complète. Sauf l’avare du village, qui préférait s’ennuyer assis sur l’un des récifs pendant que les autres continuaient la visite.
Une seule fois dans sa vie, le père de Rose était parti comme marin de guerre, mais il avait si peu apprécié que, par respect pour lui, je n’en dirai rien.
Le dimanche, le marin se reposait et son bateau prenait le soleil. Sa femme se prélassait aussi et la place du minuscule marché (la seule dans tout le Pays Royaume Village) était envahie par les promeneurs endimanchés.
C’est lors d’un de ces dimanches paisibles que la future mère de Rose sentit dans son ventre le premier petit coup de pied de la future Rose.
« Hé, monsieur mon mari ! s’écria-t-elle. Je t’annonce que notre fille naîtra dans sept mois, huit semaines, neuf jours, dix heures, onze minutes et douze secondes. »

Le père de Rose bondit de joie, si haut qu’il passa par la fenêtre et retomba dans la piscine du palais royale. Comme la piscine était très petite, l’eau déborda, mouillant au passage la reine qui étrennait une nouvelle robe.


On ne mit pas le père de Rose en prison pour autant parce qu’il était le seul marin et que Sa Majesté détestait le poisson-chat en chocolat, le bouillon de poisson papillon et le poisson-cheminée sous toutes ses formes. Mais la reine fit un tel scandale qu’il fallut lui promettre que la fillette porterait son nom.

 
 
 
« Allons bon, se dit la future mère, Rose est un joli nom. »

Dans le Pays Royaume Village, quatre-vingt-six pour cent des petites filles se prénommaient Rose (c’est-à-dire une pour chaque colère de la reine), mais il n’y avait pas de confusion car la coutume voulait qu’on donne un surnom à chaque nouveau-né.
Le surnom ne pouvait être choisi à tort et à travers (il y avait déjà une Marie Tordue et une Sophie de Travers). L’affaire était très sérieuse et les parrains s’en occupaient.
C’était d’ailleurs le gros problème du père de la petite Rose de notre histoire. Lequel de ses compères aurait l’honneur et le privilège de donner un surnom à sa fille ?
Tu auras sans doute remarqué, cher lecteur, un détail que je n’ai pas encore mentionné : comment le Pays Royaume Village, qui était si petit, pouvait-t-il avoir une mer ?
C’est compliqué. Faisons un peu d’histoire.
Autrefois, le Pays Royaume Village s’appelait Pays Royaume. Il était grand, plus grand qu’une crotte de mouche sur la carte du monde (au moins grand comme deux crottes de mouche).
A cette heureuse époque, le Pays Royaume s’étendait jusqu’à la mer. Mais après la Guerre Héroïque et Historique d’Extension de la Souveraineté de la Patrie menée sous le règne de Tibout VII l’Incomplet, le pays voisin s’était emparé de toute la partie côtière du territoire, ne laissant que les huit récifs dont je t’ai parlé et l’accès à la mer par le fleuve Petitpeu (celui-là même que le père de Rose empruntait avec son petit bateau du lundi au samedi).
Le fleuve Petitpeu n’était vraiment pas bien gros : sans l’aide de compère Vent du Nord qui soufflait sur la voile le matin et de compère Vent du Sud qui la gonflait le soir, le marin n’aurait jamais pu atteindre la mer sans se rames (elles auraient frotté contre les berges) ni sa godille (elle aurait heurté le fond). Et dans un cas comme dans l’autre, cela aurait provoqué un nouveau conflit avec l’Archi-Maxi-Méga-Empire, propriétaire des berges et du fond du fleuve…
Le père de Rose était donc très reconnaissant à ses compères et ne pouvait se passer d’eux pour compléter le nom de sa fille.
« Tu te noies toujours dans un verre d’eau, lui reprocha sa femme, dont le ventre s’arrondissait à vue d’œil. Nous n’aurons qu’à lui donner les noms des deux vents.
─Mais ils sont plus que deux ! protesta le mari marin. Comment pourrais-je oublier le Vent d’Est, qui me pousse vers le large quand je vais à la pêche au thon, ou le Vent d’Ouest, qui me ramène quand la cale est pleine ? Et le Vent du Nord-Est, hein ? Sans lui, je ne pourrais pas récupérer la marchandise au Cap-des-Affaires. Et il me serait impossible d’acheminer les produits du royaume jusqu’à Port-au-Prix sans le secours de mon compère Vent du Sud-Ouest. Et je ne te parle même pas du Vent du Sud-Sud-Est, qui une fois…
─Assez, assez, cria la future mère qui venait de sentir dans son ventre un petit coup de pied impatient. Nous l’appellerons Rose des Vents et tout le monde sera content ! »
C’est ainsi que le bébé fut prénommé Rose des Vents. Tous les parrains assistèrent au baptême. Ils mangèrent des gâteaux et firent des farces, burent du punch et chantèrent de vieilles chansons. Mais comme l’alcool leur était monté à la tête (qu’ils avaient légère), les vents se mirent à danser et provoquèrent une telle bourrasque que le Pays Royaume Village faillit disparaître de la carte.

Extrait de  Les aventuriers du cerf-volant. Publié (puis sottement sorti de catalogue) par Hachette. Paris, 1998 . Illustrations : Gabriel Lefèvre. Traduction : Mireille Meissel.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 Sélectionné par la Bibliothèque Internationale de la Jeunesse (Munich) comme l’une des meilleurs livres pour la jeunesse publiés dans le monde en 1996 (Sélection The White Ravens).

Prix La Rosa Blanca aux meilleurs livres d’auteur cubain de l’année. Union des écrivains de Cuba.

Edité originalement sous le titre  « Aventuras de Rosa de los Vientos y Juan Perico de los Palotes » par:

Editorial Capiro. Santa Clara, Cuba, 2001

El Arca. Barcelona, 2001. Illustrations de Daniel Sesé.

Alfaguara. Buenos Aires, 2004. Illustrations de Xulián (Julián Roldán)

 
 
 
 
 
 
 
 
 
Version électronique en anglais, espagnol et galicien de l’un de contes-chapitres : « Así empezaron las aventuras de Rosa de los Vientos y Perico de los Palotes ». Editorial Galaxia. Pontevedra, 2012:   
                                    http://galaxiatales.com/ver/4
 
 
 

mardi 6 août 2013

Que fait un Cubain qui ne danse pas dans un festival de salsa? De la littérature voyons !



Tempo Latino est probablement le plus important festival français de musiques latines. Chaque année, fin juillet, la population de Vic Fezensac, petite ville du Gers (la terre de D’Artagnan et de l’Armagnac), se voit aisément doublé grâce aux vagues d’amateurs de salsa qui débarquent décidés à secouer ses jeunes ou vieux os au rythme des musiques afro-latines tout le long des quatre jours du festival.
 
Pour sa vingtième édition, Tempo Latino a compté sur le parrainage du Colombien Yuri Buenaventura et son orchestre (composée à parts égales de Colombiens et de Français, tous des virtuoses). Entre les autres musiciens qui ont rempli chaque nuit la piste de danse et les gradins des arènes de Vic, on remarquait également le Cubain Maraca et son orchestre,  l’Angolais Ricardo Lemvo et sa bande, les colombiens de « La 33 », les Français de « No Jazz » et bien d’autres qui se produisaient dans la grande scène installée dans la place de taures ou dans les  divers salles situées partout dans la ville.

 vieux coin de Vic

le calendrier du siècle

le carretlot (passage) Pudent
 
Seulement… que peut bien faire dans festival de salsa un Cubain qui ne danse pas? Mes amis savent bien que j’ai “le pied carré”, et même si je n’ai pas l’oreille aussi gauche… est-il suffisant pour que l’on me fasse venir depuis Paris dans cette ville ensorcelée par les tumbadoras, les trompettes et les maracas?
 
 
Et bien, j’ai fait de la littérature!
 
C’est que Tempo Latino n’offre pas seulement de la musique et de la danse, il y a aussi des stages, des expositions, des bonnes boisons et des nourritures exotiques… et de la littérature ! L’invité littéraire est un auteur originaire d’Amérique Latine, ou expert dans la matière, qui propose à un public peut-être moins massif que celui des concerts, mais pas moins passionné, un contact avec la production littéraire de ces pays lointains où l’on ne fait pas que danser.
 
Pendant la conférence (photo de Gabrielle Saplana)
 

Pour cette vingtième édition j’ai eu l’honneur d’être l’auteur choisi. Dans ma conférence que bientôt vous trouverez sur ce même site,  j’ai parlé des origines de la littérature cubaine pour la jeunesse, surgie en tant que mouvement avec la révolution de 1959. La réforme éducative, culturelle, sociale et idéologique entreprise par la révolution castriste donne au livre –autant pour adultes que pour enfants et adolescents- le rôle d’instrument de formation de masses. D’abord nationaliste, agrarienne et populaire, mais très vite ouvertement marxiste-léniniste, la révolution cubaine a tenté d’enfermer, pas toujours avec succès, l’imaginaire et le verbe de ses auteurs.

En fait, je n’ai pas abordé la question en tant que spécialiste en histoire culturelle, mais en tant qu’acteur puisque ma carrière littéraire (comme lecteur d’abord et comme écrivain, tout de suite) est intimement liée aux aventures du livre cubain pour la jeunesse dans les fondateurs années 60, les dogmatiques 70, les rénovateurs 80, les critiques 90…

 A l'heure des dédicaces (ph. de Gabrielle Saplana)
 
Mon intervention a été “illustrée” par une troupe de jeunes acteurs qui ont fait une lecture en nuances et en musique de trois de mes textes traduits en français. Puis, j’ai signé des exemplaires de mes cinq titres actuellement disponibles dans la langue de Molière (je pourrais aussi dire celle de Dumas, qui avec D’Artagnan a inventé le Gascon le plus célèbre) ainsi qu’une partie des titres que je possède en catalogues espagnols et latino-américains (les hispanophones et les hispanophiles sont nombreux à Tempo Latino !).


Littérature et musique ont été toujours très liées, que ce soit à Cuba ou dans l’ensemble de l’Amérique Latine. De retour de ma conférence ou des concerts que chaque nuit se prolongeaient jusqu’à deux heures du matin, je n’ai jamais résisté à l’étonnant spectacle de ces centaines de Français qui dansaient les rythmes afro-latins avec la même fougue (même si la technique pouvait laisser à désirer) que des vrais Caribéens. La preuve dans ce petit film…
 
Le Mojito a sans doute aidé à la “tropicalisation” des danseurs. Le bar officiel de la marque Havana Club le présentait en bouteilles en plastique pour que l’on puisse l’emporter sans risque dans la piste de danse. Il faut dire que les températures caniculaires  (entre ¡35 y 38°C!) inclinaient à la prudence.
 

Envie de savoir plus sur Tempo Latino?

 

Cuba, terre des débrouilles

  Une fois n'est pas coutume. Habituellement je parle de littérature jeunesse. C'est la spécialité que je cultive en tant qu'aut...