mercredi 24 avril 2013

La littérature est le meilleur moyen de compréhension de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions... que l’on commémore le 10 mai prochain.


Depuis plusieurs années je visite des collèges et lycées pour des échanges autour de mon roman « La légende de Taïta Osongo » et de la question de l’esclavage qui y est récréé. Dans certains cas, la lecture de l’ouvrage est accompagnée d’ateliers d’écriture ou j’invite les jeunes à tisser des histoires mettant en scène des adolescents attrapés dans le labyrinthe de l’innommable injustice humaine et sociale qu’est l’esclavage.

Or, chaque fois je constate la difficulté qu’ont les adolescents à comprendre la réalité de ce monde, pas si lointain que ça, où les personnes étaient séparées par des infranchissables barrières non seulement socio-économiques mais juridiques, philosophiques, culturelles. Encore récemment, dans un collège de Soissons, des enfants de 5ème qui rédigeaient une histoire proche de la mienne, faisaient dire aux esclavagistes dont le fils était tombé amoureux d’une esclave : « Une nègre qui ne sert que pour les corvées ne peut pas être en couple avec toi, qui es blanc, beau, riche, propre ».

Le fait que le garçon soit libre et la fille esclave n’était même pas mentionné et j’ai eu du mal à leur faire comprendre à quelle point cette différence-là était vraiment déterminante.

Je dois préciser que ces enfants n’avaient pas lu par eux-mêmes mon roman. Ils en ont pris connaissance par une lecture à voix haute réalisé par leur professeur de français. S’agissant d’une classe à faible compétence en lecture, l’enseignant a estimé que c’était le seul moyen de leur franchir l’accès à mon ouvrage, qui est portant assez court et pas trop complexe.  







La légende de Taita Osongo
Ibis Rouge (Matoury, Cayenne, 2004)
Nouvelle version aux Editions Orphie: mai 2017


Pour l'illustration de couverture pour la nouvelle(Orphie, 2017)
je me suis inspiré du célèbre tableau "La jungle" de mon compatriote Wilfredo Lam

Après une réflexion collective autour des rapports entre les personnages de mon roman, ils ont fini par saisir ce qui est vraiment l’esclavage ; cette organisation sociale si difficile à imaginer par un enfant né sous la République.
C’est que le décret statuant la commémoration des « Mémoires de la traite négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions chaque 10 mai, ne suffit pas à combler la méconnaissance de ce moment de notre histoire dont les conséquences sont encore visibles dans la société française, tout particulièrement dans les départements de l’Outremer et dans certaines points de l’Hexagone.
La présence dans les manuels scolaires de questions telles que la traite négrière, l’esclavage, le commerce triangulaire et le colonialisme ne suffit pas à son appropriation véritable. Car l’exposition nécessairement distancée, supposée objective mais malheureusement schématique, empêche compréhension par les adolescents d’un phénomène sans doute complexe, éloigné et (en apparence seulement), sans rapport avec les problématiques d’aujourd’hui.
Seulement la littérature permet d’incarner les drames et défis de l’esclavage à travers des personnages auxquels les jeunes peuvent s’identifier ou qu’ils peuvent, au contraire, détester comme s’il s’agissait d’êtres vivants, palpitants.
Les romans pour la jeunesse qui abordent la question de l’esclavage ne manquent pas, mais on les trouve surtout dans ces collections de romans dit historiques dont le souffle est souvent plus didactique que vraiment esthétique. Sortis de la plume d’auteurs qui narrent aujourd’hui l’Egypte des pharaons, demain l’Empire Roman, après-demain la Révolution française, ils manquent souvent de vérité, malgré une bonne documentation et un sincère engagement dans la dénonciation de l’horreur du système esclavagiste.
première édition en espagnol: Fondo de Cultura Económica. Mexico, 2006
 

La légende de Taita Osongo n’a pas été conçue dans le cadre d’un quelconque débat social ou nécessité pédagogique.
Tout a commencé par une image forte : une orchidée blanchissime sur le tronc noir, lise et puisant d’un arbre : un de ces algarrobos (bois noir d’Haïti) qui formaient un bosquet en face de chez-moi à Santiago de Cuba. Dans cette ville, la plus métissée de mon pays, j’ai dû croiser plus d’un homme très noir du bras d’une femme à la peau d’albâtre. Mon livre s’appela d’abord « La légende de l’algarrobo et l’orchidée », car je raconte l’amour impossible entre un jeune esclave et la fille de son maître qui se termine en forêt d’algarrobos chacun avec son orchidée greffé au tronc. Je voyais ça comme un symbole du métissage qui sonna le tocsin du racisme et la ségrégation inséparables de l’esclavage des noirs. Si j’ai changé le titre c’est parce que très vite Taïta Osongo, le grand-père du jeune esclave si dangereusement amoureux, devint le centre du livre. Je n’écrivais plus une histoire d’amour malheureuse, mais l’histoire d’une révolte –à travers amour et magie- contre l’injustice.
uno de mis dibujos para la primera edición cubana (Capiro. Santa Clara, 2010)
Cette première version de ce roman, en l’essentiel guère différente de la version définitive, date de 1983. J’habitais, je viens de le dire, à Cuba et j’étais à mille lieux d’imaginer que mon ouvrage ferait ses débuts en français et chez un éditeur de l’Outremer, vingt ans plus tard. L’écriture n’a pas été précédée de la moindre recherche autour de la traite et l’esclavage à Cuba, dans la Caraïbe ou dans le reste du monde colonial. Mon intention et mes propos étaient entièrement littéraires et la rédaction de ce roman –le seul avec des références historiques que je n’ai jamais entrepris- se situait entre un polar pour la jeunesse (mon premier ouvrage publié) et des contes écologiques (recueillis dans ce qui devint par la suite mon deuxième titre). Mon intérêt pour les problématiques du racisme et l’injustice ancrées dans le cœur de l’institution esclavagiste, a été certainement nourri par mon installation dans la région cubaine où les racines africaines sont plus visibles et vivantes. Mais ce n’est que beaucoup plus tard que je me suis intéressé vraiment à la réalité historique de l’esclavage. Le passé de ma propre famille et une expérience amoureuse personnelle ont été les moteurs secrets d’un texte qui, malgré un prix qui donnait droit à publication, j’ai gardé inédit jusqu’au jour où, déjà résidant en France, je l’ai considéré littérairement mûr.
illustration pour la deuxième édition française: Orphie, mai 2017
 La légende de Taïta Osongo a été publié, dans l’excellente traduction de Pierre Pinalie, par Ibis Rouge (ce n’est pas par hasard que j’ai choisi un éditeur de l’Outremer !) en 2004. Deux ans plus tard, le plus grand éditeur d’Amérique Latine, Fondo de Cultura Económica, a publié la version en langue espagnole, suivie en 2007 d’une traduction brésilienne et, enfin, d’une version cubaine en 2011. Le prestigieux centre de recherche et promotion du livre pour la jeunesse Banco del Libro (Venezuela) a choisi mon roman comme l’un des meilleurs ouvrages pour la jeunesse latino-américaine et moi-même je le considère comme mon livre le plus ambitieux.

éditions cubaines: Capiro, 2010, Ediciones Matanzas, 2015

traduction en portugais: Edições SM do Brasil. São Paulo, 2007





 Au début de 2013, le Ministère d’Education de l’Argentine a offert 16 892 exemplaires de La légende de Taïta Osongo aux écoles publiques de la nation. Il s’agit d’une édition spéciale de Fondo de Cultura Económica, la plus grande maison d’édition de l’Amérique Latine, qui depuis 2006 assure la diffusion de l’ouvrage en langue espagnole avec les illustrations de mon compatriote Ajubel (lauréat, entre d’autres nombreux prix, du prestigieux Bolonia Ragazzi Award). 

En tant que Cubain naturalisé Français, je me sens très proche des gens de la Caraïbe et de l’Outremer en général. Ceci explique ma participation dans le collectif Ti Woch, qui fait la promotion des cultures créoles à travers contes, spectacles, conférences et autres projets dont le plus ambitieux est peut-être Ti-woch magazine, une publication destiné aux enfants de 7 à 12 ans.



Le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage, institué par décret de janvier 2004 en application de la loi adoptée le 10 mai 2001 qualifiant la traite négrière et l’esclavage de crime contre l’humanité, se réjouit de la décision du Président de la République. Il se réjouit également que ses propositions concernant la recherche, l’enseignement et la culture, contenues dans son rapport remis le 12 avril 2004 au Premier Ministre aient été reprises par le Chef de l’État. Le Comité pour la Mémoire de l’Esclavage appelle à la fédération des énergies et à l’union des forces pour faire de chaque 10 mai une date symbolique forte.

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