jeudi 29 septembre 2011

Brésil: livres, lecture et paysages époustouflants






J’ai passé le mois d’août au Brésil. J’ai été l’invité de la Foire Littéraire Internationale do Tocantins (FLIT) dont le thème était Multicultures, avec les afro descendants et les peuples aborigènes du Brésil à l’honneur. En fait les organisateurs ont commencé par inviter J.M.G. Le Clézio et Vargas Llosa, mais on n'obtient pas si facilement la présence des Prix Nobel et ils ont baissé leurs expectatives jusqu'à se contenter d'écrivains pas aussi célèbres mais qui ne répondaient pas moins aux buts de la FLIT: présenter une grande diversité d'expériences multiculturelles. Les autorités éducatives et culturelles du Tocantins ont tenu compte de la proclamation de 2011 comme « Année aux personnes d'origine africaine » par l'Organisation de Nations Unies. J’ai pu remplir le cahier de charges car je suis non seulement je suis un Français d'origine cubaine, mais un Cubain aux lointains ancêtres africains. Mon dernier livre publié au Brésil, La légende de Taïta Osongo, s'inspire justement de la douloureuse aventure fondatrice des peuples afro-américains et de l’histoire, plus récente, de ma famille paternelle. A Palmas do Tocantins, j’étais en compagnie de figures de premier ordre de la littérature brésilienne pour la jeunesse tels que Marina Colasanti et Roger Mello ainsi qu'une dizaine d'auteurs des trois continents, tous d’appartenance culturelle multiple. Des figures aussi médiatiques que la comédienne Fernanda Montenegro et les chanteurs Seu Jorge et Lenine faisaient partie de la programmation grand public. J’ai passé trois jours intenses à Palmas. La capitale du plus jeune état brésilien (1989) a été fondée à l'instar de Brasilia, sur un modèle de planification rationnelle qui défie nos vieilles habitudes européennes avec ses énormes espaces vides qui attendent, tranquillement, l'arrivée dans dix ou vingt ans de bâtiments et équipements qui, seulement à ce moment-là, seront nécessaires. La population, très jeune et assez métissée, a largement répondu à l'appel de la très riche programmation de conférences, ateliers, expositions, concerts, festival de cinéma, théâtre, cirque et diverses manifestations artistiques du vaste centre ouest du Brésil. Le tout s’est déroulé dans une dizaine d'espaces repartis dans l'immense Plaça dos Girasóis (réputée la plus grande place publique du monde). Étant invité comme auteur franco-cubain, je me suis exprimé dans la langue de Molière (pour être moins rhétorique, je devrais plutôt dire « la langue de Pierre Gripari »). Ma conférence portait sur mon parcours entre plusieurs cultures (hispano-cubaine, afro-cubaine, française) et pays (Cuba, Brésil, Danemark, France, Espagne, Argentine), ainsi que sur les traces que tout cela a laissé dans mon œuvre. Le reste de mes activités je les ai déroulées en portugais, langue que je n'ai pas oublié malgré le fait que cela fait maintenant 20 ans que j'ai quitté le Brésil pour ne plus revenir que, brièvement, en 2001. De retour à Brasilia, j’ai parlé à la Bibliothèque Nationale ouvrant la saison de conférences de la deuxième moitié de l'année (les grandes vacances ont lieu dans l'hémisphère sud en décembre-février, en juillet il n'y a que les petites vacances « d’hiver »). Par la suite, j'ai été convié par le Bureau du livre de l'Ambassade de France pour un atelier avec les enfants et une causerie avec le personnel de la bibliothèque communale de Manguinhos. J'ai ainsi apporté mon grain de sable à un projet du gouvernement de l'état de Rio de Janeiro soutenu par la France. La « biblioteca-parque » de Manguinhos a ouvert, m’a-t-on expliqué, un havre de paix et de culture entre deux favelas souvent en conflit. Comme professionnel du livre pour la jeunesse, le meilleur moment de mon séjour était sans doute ma participation à la première édition de la Foire du livre pour la jeunesse (FELIT) organisé par la ville de San Bernardo do Campo (São Paulo) avec l'assistance technique de la FNLIJ (section brésilienne du IBBY, l'Organisation internationale du livre pour la jeunesse). Les meilleurs éditeurs y étaient présents et j'ai rencontré des responsables de Peirópolis, RHJ, Larrousse, Callis, entre autres. De nombreux auteurs y étaient également présents et j'ai pu assister à quelques-unes des rencontres -avec des classes entières, vendredi, et avec adultes seuls ou enfants accompagnés de leurs parents, samedi- qui ont eu lieu dans les six salles prévues à cet effet. Je crois me souvenir de quelques chiffres: 8 à 15 000 enfants auraient visité la Foire chaque jour de la semaine et autour de 500 adultes auraient payé l'entrée samedi. Ces rencontres m'ont donné l'occasion de vérifier combien l'exercice peut finalement peu varier d'un pays à l'autre: Certains auteurs étaient très attentifs et réactifs par rapport au public, d'autres débitaient un discours que je soupçonnais immuable quel que soit l'auditoire. Quant aux questions des enfants, toujours les mêmes: Combien… combien… combien… (de temps pour écrire un livre/de titres publiés/d'argent gagnez-vous...?) ou encore les classiques « pourquoi êtes-vous devenu écrivain? » ou « Etes-vous célèbre? ». Les rencontres m'ont paru très bien organisées et elles étaient très correctement rémunérées. J'ai partagé mes deux jours de salon avec le poète lauréat Bartolomeu Campos Queiroz, le très connu auteur aborigène Daniel Munduruku, les prolifiques écrivains Julio Emilio Braz et Rogério Barbosa et encore Luciana Sandroni, Luiz Antonio Aguiar, Luciana Savaget. Pour certains je connaissais des œuvres mais pas la personne... et franchement ça valait la chandelle! Plusieurs d’entre eux ont été extrêmement sympathiques, ont tenu à acheter mon livre ou m’ont présenté un éditeur (je dois avouer que rarement les collègues rencontrés dans des Salons en France en ont fait autant!). Le public qui a assisté à mes deux causeries m'a aussi comblé. J'ai publié un premier livre au Brésil il y a 20 ans, et le deuxième, paru en 2007, n'a pas bénéficié, malgré ses deux éditions, de promotion particulière. Néanmoins, j'ai profité d'une grande qualité d'écoute. J'ai passé tout un mois au Brésil, ce qui m'a donné l'occasion d'examiner de plus près l'édition brésilienne pour la jeunesse. Je n'avais pas eu cette possibilité depuis mon séjour de 1989-1991 à Rio. A l'époque je me suis autorisé un petit essai que la grande Ana Maria Machado me fait l'honneur de citer partout. Je viens de confirmer que la littérature de jeunesse brésilienne reste, avec celle de l'Argentine, la plus riche d'Amérique Latine. A Palmas, à San Bernardo et dans les librairies de Brasilia j'ai pu même vérifier mes conclusions au sein du groupe de spécialistes convoqués par La Joie par les livres (Centre national de littérature pour la jeunesse) pour sélectionner les 100 titres présentés dans le cahier « Lire en V.O. Livres pour la jeunesse en portugais » (Bibliothèque nationale de France, 2010). Des éditeurs comme Companhia das Letrinhas, Cossac Naify, Biruta ou Manati sont des bons indicateurs du renouveau du panorama éditorial du Brésil, même si seulement les deux premières arrivent à être aussi visibles que les vieilles grandes maison Attica, Global, Melhoramentos ou Moderna. J'ai pu identifier d’autres éditeurs avec une production intéressante, ainsi que repérer quelques traits marquants; tels que la rareté de traductions (en dehors de l'anglais et des best-sellers qui sont aussi généralement d’origine anglo-saxon) ou l'abondance de livres qui abordent la culture, le passé et l'actualité des Afro-brésiliens (50% de la population du Brésil, composée de 190 millions de personnes, revendiquent des origines africaines!). L'album était jadis inexistant dans l'édition brésilienne. Aujourd'hui il y a, comme en Europe, des livres sans texte, des livres-jeux et des albums; la seule différence est que les couvertures sont en carton souple. Le soin et l'innovation en matière d'illustration, design, et parfois dans l'impression et la reluire, ressortent dans l'ensemble de la production. Les tirages sont très importants, mais comme partout ailleurs, les plus grosses ventes ne correspondent pas aux projets les plus ambitieux. Certains auteurs possèdent une bibliographie impressionnante... plus par le nombre que par la qualité, et des fois le même auteur est capable du meilleur et du pire. Deux gros problèmes défient le Brésil dans le domaine du livre: le prix prohibitif des exemplaires (nettement plus chers qu'en France) et le peu d'intérêt des Brésiliens pour la lecture... Y compris dans une classe moyenne qui s'offre parfois plus de luxes que celle de la France, mais qui ne plonge jamais dans un bon livre. Les adultes ne lisent pas, et les enfants uniquement à l'école. Je n'ai que très rarement vu des gens qui lisaient dans les transports en commun (qui ne sont ni abondants ni confortables ni surs, c'est vrai) ou en d'autres espaces publics. Dans la salle d'attente d'un aéroport on peut compter une dizaine de personnes avec un ordinateur portable allumé contre une seule avec un livre ouvert! Une récente enquête montre qu'un brésilien sur quatre n'accorde la moindre importance à la lecture dans la formation intellectuelle du citoyen. Une autre enquête révèle tout de même une amélioration de 150% de l'indice de lecture des Brésiliens, qui passe ainsi de 1,8 livre par année à 4,7. Ce n'est donc pas étonnant que, d'après une de mes connaissances, lectrice passionnée, il n'y ait dans tout Brasilia que deux ou trois librairies dignes de ce nom: la belle librairie d'occasion « Sebinho de livros » (avec son vaste choix parfaitement rangé, son café-restaurant, sa connexion Internet et sa salle de conférences), celle du mirifique Centre Culturel du Centre du Brésil (à plusieurs kilomètres du centre-ville... mais toujours « dans » Brasilia) qui possède un choix restreint mais réfléchi, et deux magasins de la chaîne Cultura, installés dans des centres commerciaux excentrés (celui que j'ai visité se trouve dans un contexte improbable: un shopping de meubles!). Si dans chaque « superquadra » de la capitale fédérale les églises sont nombreuses (j'ai remarqué une bonne demi-douzaine, toutes tendances confondues, dans mon voisinage), les bibliothèques sont rarissimes ; je n'en ai vu qu'une, spécialisé jeunesse, alors que celle prévu dans le pâté de maison modèle est devenu aujourd'hui école de danse ou quelque chose de ce genre. Malgré de nombreux programmes et expériences pilotes (le « pilotisme » permanent est un Modus Vivendi au Brésil), encore 39% des 27 millions d'enfants scolarisés manque de bibliothèque scolaire. Et ceci dans un pays où ceux qui finissent par accorder une importance quelconque à la lecture estiment que celle-ci est du ressort de l'école. Rien de ce que je viens de commenter empêche des trouvailles aussi belles que le projet Mala do livro (Malle du livre) qui offre des petits ensembles de 160 titres au secteur public ou aux particuliers disposés à soutenir un espace ouvert à la communauté. Chaque collection comporte toute sorte de livres, notamment pour la jeunesse, rangés en étagères qui peuvent se fermer comme de très pratiques coffres à roulettes. J’ai trouvé une de ces « malles de livres » dans deux stations de métro. En principe on s'inscrit pour emprunter les livres (consignant nom, téléphone, date et titre emprunté). N'étant que de passage, je ne me suis pas inscrit, mais j’ai emprunté plusieurs livres à la station 102 N du métro de Brasilia. J'ai pu ainsi lire une poignée d'auteurs brésiliens, dont deux que j'avais rencontré quelques jours plus tôt à la FELIT, et même un classique chilien... en espagnol S.V.P.! Il est vrai que je n'ai vu que deux fois un enfant qui bouquinait (c'était le même...?), mais d'autres ont pu faire comme moi: prendre un livre à la maison ou le temps d'un trajet (il m'est arrivé de déposer l'exemplaire lu à mon retour dans la même station). Quelqu'un m'a dit: « Personne ne s'en sert, personne n'y contrôle rien». Erreur! J'ai vu de mes yeux un fonctionnaire qui vérifiait consciencieusement les emprunts, retours et donations, ce qui m'a mené à faire donation de deux titres que j’avais achetés, lu et estimé pouvant être plus utiles au Brésil que chez moi en France. La fin de mon séjour je l’ai consacré au tourisme : avec une amie qui vit à Brasilia, j’ai visité le parc national Chapada dos Veadeiros, dans les confins entre l’état de Goiás (qui englobe le Distrito Federal ou région capitale) et l’état de Tocantins, plus au nord. C’est une région qui oscille d’une saison de pluies torrentielles à une saison extrêmement sèche. Le « cerrado » est en fait le nom partagé par quatre types d’organisation végétale différentes, dans l’ensemble, elles rassemblent un tiers de la diversité biologique du Brésil (10 000 espèces, dont 44% n’existe nulle part ailleurs). Le «cerrado» s’étend sur des terres au relief irrégulier, labouré par des ravins qui donnent lieu à quelques célèbres « cachoeiras » dont la beauté mériterait bien plus de visiteurs. La zone est riche aussi en cristaux d’une grande singularité, ce qui a alimenté un courant mystique qui élu capitale dans le village post-hippie de San Jorge. La semaine suivante nous sommes partis dans l’autre sens, vers l'ancienne capitale du Goiás, connue comme Goiás Velho (dénomination peu engageante que les riverains préfèrent oublier en faveur du vieux nom officiel de Vila Boa du Goiás). C’est une bourgade charmante, un bijou architectural du XVIII siècle traversé par des ruelles pavés de pierres irrégulières peu amènes pour automobiles et autres talons aiguilles. Mais ce n’est pas pour cela que les touristes y sont rares. Au Brésil il faut être là où les autres y sont déjà, et à mi-chemin entre Goiás Velho et Brasilia se trouve Peirópolis, un autre bijou colonial qui est devenue –rançon du succès– le Saint-Paul de Vence du centre-ouest du Brésil. Entre les charmes qu’offre l’état du Goiás se trouve une gastronomie riche en fruits et façons propres à la région. C’est une cuisine savoureuse, mais parfois redoutable. Le Goianais, décrit arriéré et têtu par le stéréotype brésilien, raffole d'un petit fruit nommé « pequi » lequel offre une très fine couche de chair parfumé accroché à une coquille dont la solidité dévient imprévisible après cuisson. Cette coquille est entièrement remplie de très fins piquants qui peuvent s’incruster méchamment sur la langue et le palais. Aucune alerte particulière n’accompagne les plats qui présentent ce dangereux mets (on dirait d'innocentes pommes de terre à l'anglaise) au client des restaurants. Les accidents sont pourtant fréquents. Ma compagne en a fait les frais (deux heures de soins dans la clinique odontologiste située par heureux hasard (?) sur le même trottoir que le réputé restaurant Chao Nativo, dans un quartier chic de Goiânia, la vaste nouvelle capitale de l’état. Après coup, vous découvrez qu’il n’y a personne qui n’ait pas entendu parler ou été témoin d’un accident avec le pequi. Et ceci est arrivé non seulement aux étrangers, mais aux habitants d'autres régions de l'immense pays... voire à des locaux non suffisamment méfiants. C'est sur cette note « piquante » que je termine mon petit récit d'un beau séjour au Brésil.

Cuba, terre des débrouilles

  Une fois n'est pas coutume. Habituellement je parle de littérature jeunesse. C'est la spécialité que je cultive en tant qu'aut...